7 mois d'immersion en Italie, à Bologne. Expérience inoubliable dont ce blog n'est qu'un aperçu, j'ai essayé de partager avec le plus grand nombre mes découvertes, mes voyages, et quelques réflexions sur ce pays qui me fascine tant.

Mois après mois

21 avril 2006

Elections 2006 (5): Un scrutin en dents de "si?"

Ca y est, il aura fallu plus d'une semaine pour que les résultats des élections soient officiels et définitifs.

Comme de longs chiffres valent toujours mieux que des dis – courts, je vous laisse jugez par vous-même de la situation à la Chambre des Députés:

18.977.843 votes pour Berlusconi
19.002.598 votes pour Prodi

Ce qui fait donc 24 755 voix d'avance pour Prodi (sur un nombre d'électeurs très élevé: 83,6% de participation).

Indispensable donc la prime de majorité prévue justement pour "corriger" une telle situation que peut engendrer le système de vote proportionnel. L'Unione, de Prodi, est donc assurée malgré tout d'avoir 348 sièges à la Chambre des Députés contre 281 pour la Casa Delle Libertà de Berlusconi.

C'est au Sénat que ça se gâte (normal, les sénateurs sont plus âgés…), car une telle prime de majorité n'existe pas. L'Unione aura donc… 2 sièges de plus que la Casa Delle Libertà (158 / 156). Remarquez, c'est un bon moyen pour limiter l'absentéisme – notoire – des sénateurs! Si deux sont absents, la majorité bascule!

L'égalité s'avère donc parfaite entre les deux camps, et la victoire de la gauche, loin d'être le plébiscite rêvé par Prodi, n'est finalement due qu'au hasard. Les italiens n'ont pas chassé Berlusconi.

Avant de vous faire part de mes réflexions sur ce scrutin, j'aimerais vous faire partager mon expérience télévisuelle de la semaine dernière, pendant le dépouillement (qui s'est étalé de lundi 10 avril, 15h, à mardi 11, 11h30). Vivre ces moments en direct à la télévision italienne est une chance pour qui s'intéresse à la télévision et à la politique locales.

Il faut imaginer les sept chaines (les trois Rai – publiques – les trois Mediaset – privées Berlusconiennes – et "la 7" – privée indépendante) avec leurs émissions spéciales, leurs invités "exclusifs" (que l'on retrouve dix minutes plus tard sur la chaine suivante), et leurs chiffres "inédits" (bien que tous fournis par le même institut, et annoncés par la même personne, le directeur de cet institut!). Bon, jusque-là, rien de bien différent avec la France.

Mais là, le plus drôle était de suivre l'évolution des résultats en zappant sur les différentes chaines dont l'orientation politique est connue (par exemple Rai 3 à gauche, et Rete 4 à droite).

15h: Clôture du scrutin et diffusion simultanée du premier "exit poll" (sondage à la sortie des urnes), donnant la coalition Unione de centre-gauche assez confortablement en avance sur le centre-droit la Casa Delle Libertà

"Une orientation claire du choix des italiens", selon Rai 3, "Un chiffre à prendre avec toutes les précautions qui s'imposent, et n'indiquant en aucun cas la réalité du vote" selon mon ami Emilio Fede (directeur du TG4, dont je vous avais parlé dans le 3ème message sur les élections relatif aux médias).

On met le Champagne au frais dans le siège des partis de l'Unione. On évite tout commentaire dans la salle presse de Forza Italia (parti de Berlusconi).

15h45: Le deuxième "exit poll", sensiblement identique au premier, est publié.

A gauche le Champagne est maintenant bien frais, on sort les sabres (et oui, il faut bien sabrer le Champagne avant de le boire!). Prodi annonce une grande manifestation pour 18h30, sur une place de Rome.

16h-18h30: Le dépouillement des votes pour le Sénat avance, et la Casa Delle Libertà amorce une remontée assez spectaculaire par rapport à l'Unione.

On range les sabres à gauche, et on met le Champagne au frais à droite. Le discours de Prodi est reporté d'une heure.

Emilio Fede, tout sourire, commente ces premiers chiffres comme une "indication évidente de la tendance du scrutin", et Rai 3 préfère relativiser en avançant que "le nombre de sièges dépouillés est encore trop faible pour être représentatif".

19h30: La Casa Delle Libertà l'emporterait au Sénat.

A droite, on sort les sabres, à gauche, les masques, pour se cacher de la honte face au revirement de la situation pour le moins inattendu. Un politique de droite (Ignazo La Russa) affirme sur Rete 4 que la "victoire morale revient au vainqueur à la Chambre des Députés, car c'est elle qui détermine quel parti doit former un gouvernement". Il doit regretter cette phrase aujourd'hui.

Le discours de Prodi est reporté à une heure non définie.

20h00- Minuit: Les premiers dépouillements pour la Chambre des Députés laissent entrevoir une victoire du centre-gauche, donnée qui se confirme peu à peu dans la soirée. L'hypothèse d'une égalité avec le Sénat est donc envisagée.

Plus question de Champagne ou de sabres, de quelque côté que ce soit.

Uniformisation des tons sur Rai 3 et Rete 4: présentateurs et invités entament une longue soirée d'attente, papiers, stylos, et calculatrices à la main, pour se faire eux-mêmes leurs propres estimations à chaque nouveau chiffre donné par le Ministère de l'Intérieur. Une observation: tous les politiciens italiens sont doués en calculs mentaux!

C'est personnellement le moment de la soirée que j'ai préféré. On aurait dit des lycéens en attente de leurs dernières notes, et recalculant leur moyenne générale au fur et à mesure dans la crainte d'un redoublement. C'était limite émouvant.

Minuit: Il semble maintenant clair que la droite l'emportera au Sénat. Pour la Chambre des Députés, tout reste à jouer car l'égalité s'affine à mesure que les résultats arrivent de toutes les régions italiennes.

Grande effervescence dans les studios télé (l'attente et l'angoisse fait certainement monter l'audience), mais profil bas général côté invités face à une situation que tout le monde redoute, et que personne ne saurait comment gérer.

2h – 3h: Résultat définitif: la gauche l'emporte de très peu à la Chambre des Députés (49,8% contre 49,7%). Le Sénat reste incertain, ce seront les votes des italiens à l'étranger à faire la différence.

Tout le staff de l'Union, Prodi en tête, descend finalement sur la place de Rome pour annoncer la victoire à ses supporters, qui attendent tous depuis 17h. Liesse et discours de remerciement.

Emilio Fede vire au vert. Rai 3 se retient de lancer les cotillons.

Le lendemain, vers 11h: Les votes des italiens à l'étranger tombent enfin, le Sénat bascule in extremis à gauche (bien qu'avec un nombre absolu de voix inférieurs à celles de la droite, à cause d'une subtilité de la nouvelle loi électorale).

La gauche jubile, la droite conteste. Rai 3 lance une édition spéciale de son journal télévisé. Il faudra attendre 12h pour apprendre la nouvelle sur Rete 4

La page "Berlusconi" semble donc se tourner. Heureux hasard: on annonce au même moment l'arrestation du chef historique de la mafia sicilienne Bernardo Provenzano, recherché depuis 40 ans. Les mauvaises langues voudront y voir un rapport…

Vers 19h: Berlusconi apparaît enfin à la télévision (ce long silence médiatique de près de 48 heures est à mettre dans les annales de la télévision italienne) pour commenter les résultats. Il juge qu'il est beaucoup trop tôt pour parler de victoire de la gauche, que des choses ne sont pas claires, mais propose toutefois à la gauche une "grande coalition" à l'allemande. Prodi refuse.

Depuis mardi dernier, la droite a tenté de faire basculer le résultat en portant un certain nombre de recours à propos de "voix contestées". Toutes ces plaintes ont été étudiées par la Cour de Cassation, qui a rendu son jugement avant hier, confirmant la victoire de l'Unione.

Prodi, de toute façon, n'a pas attendu cette confirmation pour savourer sa victoire.

Mercredi dernier (le 12 avril), il festoyait déjà dans sa ville natale, à Bologne (ça tombe bien pour moi ça!), sur la Piazza Maggiore.

Sur cette photo (à gauche), on le voit aux côtés de Sergio Cofferatti, le maire centre-gauche de Bologne (c'est le monsieur barbu avec des lunettes derrière à droite de Prodi).






Autant vous le dire tout de suite, même si je suis évidement content qu'au bout du compte Berlusconi ait été battu, je suis un peu gêné par ces manifestations de victoire quand l'élection se joue à si peu de voix près. Prodi est finalement élu "par chance" et non par consensus. Et le référendum anti-Berlusconi tant espéré n'a pas eu lieu.

Si d'un côté j'aimerais que Berlusconi ait la défaite plus facile (il ne veut toujours rien reconnaître), j'aimerais vraiment que Prodi ait la victoire plus humble.

D'un autre côté, maintenant que cette victoire si serrée se confirme, je ne peux pas ne pas commenter cette incroyable ironie du sort de la loi électorale. Construite par et pour Berlusconi, dans l'optique de récupérer un maximum de voix afin de gagner l'élection sur le fil, elle donne finalement la victoire à Prodi. Toute la droite n'avait cessé de répéter pendant la campagne que si une des deux coalitions avait ne serait-ce qu'un vote de plus que l'autre, elle emporterait l'élection, grâce aux primes de majorité qui assurent la gouvernabilité du pays. Elle ne pensait pas si bien dire…

Prodi est donc élu, mais il se retrouve face à un véritable défi: gouverner dans un pays qui ne le soutient qu'à moitié, avec une coalition qui, je vous le rappelle, n'a d'Unione que le nom.

L'éventualité d'une grande coalition, proposée par Berlusconi, me parait complètement impensable. Comment envisager cette possibilité quand les deux coalitions n'arrivent déjà pas à rester unies chacune de leur côté?

Deux hypothèses se profilent donc:

Hypothèse 1: Prodi et le centre-gauche continuent à se croire les grands gagnants de ces élections, et en oublient la réalité du vote. Comme en 1996 (où le centre –gauche, déjà mené par Prodi, avait été élu avec une minorité de voix, situation due à la loi électorale alors en vigueur). Il est alors fort probable que la coalition, rongée par les ambitions personnelles et les dissensions internes, ne tienne pas plus de deux ans. Comme en 1998 (où le parti de la Refondation Communiste avait fait tomber le gouvernement Prodi en abandonnant la coalition). Une telle situation donnerait raison à toute la campagne de Berlusconi, qui écraserait l'Unione lors des prochaines élections.

Hypothèse 2: Passée l'euphorie de la victoire, l'Unione réalise qu'elle n'est là que par hasard, et décide de mettre toutes ses forces dans la réalisation de son programme, et dans le maintien de ses promesses pour montrer à l'autre moitié des italiens n'ayant pas voté pour eux que ce hasard est finalement "heureux". La coalition devrait alors tout faire pour rester compacte et en rangs serrés derrière Prodi, en faisant honneur à leur nom "Unione".

Personne ne peut dire à ce jour laquelle de ces deux hypothèses sera vérifiée dans les prochains mois. Je ne serai alors plus en Italie pour suivre l'évolution de la situation, mais je continuerai à lire la presse locale, et probablement à écrire sur un blog mes – humbles – réflexions sur les évènements. Mais ça je vous en reparlerai plus tard…

La comédie électorale italienne se termine donc comme elle avait commencé: dans un joyeux bordel (et une bonne animosité!).

Pour conclure ce dernier message consacré aux élections, je vous ai mis de côté quelques "perles" de répliques apparues au cours de la campagne dans la presse.

"Je suis le Jésus-Christ de la politique, parce que je suis une victime, patiente, je supporte tout, je me sacrifie pour tous"
Silvio Berlusconi
(12 février 2006)

"Je suis venu parler de la vierge Marie, la mère de Berlusconi"
Roberto Benigni
(Février 2006, pendant une rencontre avec des évêques)

"Seul Napoléon avait fait plus que moi. Et moi je suis bien plus grand"
Silvio Berlusconi
(10 février 2006, TV "Matrix")

"Je suis Romano, tout simplement"
Romano Prodi
(11 février 2006)

"Je pourrais tout simplement dire que je ferais mieux que Berlusconi, mais ce n'est même pas un grand effort"
Romano Prodi
(24 janvier 2006, radio "Viva Radio 2")

"Je n'aime pas aller à la télé, c'est une chose que je déteste, je la déteste purement et simplement. Je vous garantis que je n'aime pas être à la télé, car j'ai bien d'autres choses à faire"
Silvio Berlusconi
(25 janvier 2006, TV "Sky Tg24-pomeriggio")

"Il était un temps où dans les interviews avec les italiens, on parlait toujours sur latin lover. Aujourd'hui, on arrive toujours à Berlusconi"
Petra Reski
(Journaliste allemande, lors d'une interview à Roberto Begnini)


Et pour finir, une petite réflexion que certains hommes politiques italiens feraient bien de méditer:

"On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on ne fait pas mieux sans"
André Malraux

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'ai l'habitude de ne pas poster dans les blogs mais votre blog m'a forcé à, un travail remarquable .. belle ...