7 mois d'immersion en Italie, à Bologne. Expérience inoubliable dont ce blog n'est qu'un aperçu, j'ai essayé de partager avec le plus grand nombre mes découvertes, mes voyages, et quelques réflexions sur ce pays qui me fascine tant.

Mois après mois

25 novembre 2005

Des mots - cratie

J’espère que mon dernier message ne vous a pas trop désespéré sur l’Italie ! D’autant qu’il reste encore un espoir ! Face à ce système politico médiatique plus tout à fait démocratique, j’observe avec une énorme satisfaction que les jeunes italiens ont conscience de la situation dans laquelle est leur pays, et qu’ils se bougent pour faire vivre « leur » démocratie.

Laissez-moi au passage anticiper l’objection systématique – et normale –: « oui, mais c’est pourtant bien les italiens qui ont mis Berlusconi au pouvoir ». Ce n’est pas si simple que ça.

Comme je l’ai expliqué dans mon dernier message, ce n’est pas un parti, mais une coalition qui gouverne le pays. La conséquence directe de cette situation est que lors d’élections, les italiens ne votent pas pour un candidat, mais pour une coalition. Le parti politique est donc plus important que son représentant ici. D’ailleurs, alors qu’en France, sauf erreur de ma part, le président de la République en fonction n’appartient officiellement plus à aucun parti politique, car les français ont voté pour la personne, ici le premier ministre (l’équivalent de notre président, car c’est celui qui a vraiment le pouvoir) reste à la tête de son parti et de sa coalition. Et c’est sa coalition qui gouverne le pays.

Autre conséquence concrète de cette situation, lors des campagnes électorales, alors qu'en France il est normal que plusieurs candidats issus d'un même parti se présentent, en Italie, à cause du système des coalitions, c'est l'inverse qui se produit. Un candidat représente forcément plusieurs partis. CQFD.

Alors, plutôt que « pourquoi Berlusconi ? », il faudrait donc plutôt chercher à comprendre « pourquoi la droite en 2001 ? » (mais là, la question me dépasse!).

Revenons donc sur la vivacité de la démocratie populaire italienne. On dit des français qu’ils font toujours grève, mais « on » devrait sortir plus souvent de l’hexagone avant d’affirmer des choses comme celle-là. Jetez plutôt un coup d'œil aux satistiques suivantes de l'OCDE. Il s'agit des moyennes annuelles (pour les années 1990 à 1994) du nombre de jours de grève par an pour mille salariés – publics et privés confondus – dans différents pays:

Espagne : 492 - Italie : 240 - Canada : 231 - Suède : 57 - USA : 43 - Grande Bretagne : 37 - France : 30 - Allemagne : 23 - Japon : 3 - Suisse :1

Alors certes, Bologne doit y être pour beaucoup dans ces chiffres, parce qu’ici les manifestations sont presque quotidiennes. Bologne n’a pas usurpé son surnom de « ville rouge » ! Sur ce blog, je n’ai parlé que des mouvements me concernant, en l’occurrence les fameuses « occupations » et les manifs étudiantes et lycéennes de la fin octobre (cf. message du 25 octobre : Bologna la rossa). Mais sans vous mentir, il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait une manif, une grève, ou un rassemblement devant l’hôtel de ville (qu’on appelle « palais communal » ici, au passage). D’ailleurs, à l’heure même où j’écris ces lignes, une grève générale paralyse toute l’Italie ! Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, les grèves italiennes ne sont pas du tout anarchiques et chaotiques comme en France. Des créneaux horaires précis d’arrêt de travail pour chaque service public sont fixés à l’avance et annoncés à la population. Par exemple aujourd’hui, à Bologne, il n’y a aucun bus entre 12h20 et 16h30 !

Ce qui est surprenant pour un français, c’est d’observer qu’ici les jeunes s’impliquent dans la vie politique et sociale de leur pays alors que les médias se désintéressent de ces sujets. En France, j’ai l’impression que c’est le contraire…

Hier, j’ai pu vivre une des expressions de cette démocratie populaire des jeunes italiens. Il faut savoir qu’en Italie, pendant les cinq années que dure le lycée, c’est-à-dire lorsque l’on a à peu près entre 14 et 19 ans (soit l’équivalent français de la classe de la « troisième » à la première année après le bac), 30 heures de l’année scolaire sont réservées à des assemblee d’istituto, c’est-à-dire des « assemblées de lycée ».

Le principe est simple, les élèves ont le droit pendant ces 30 heures – qu’ils répartissent eux-mêmes quand bon leur semble – d’organiser des moments de discussion et de débats à la place des cours. Ces moments s’appellent donc assemblee d’istituto. Le jour où il y a assemblea , les cours sont annulés, et les locaux sont à la disposition des élèves. Ils se retrouvent tous dans une ou plusieurs salles de l’établissement pour discuter ensemble de sujets divers, souvent d’ordre politique et/ou social. L’ordre du jour doit être établi à l’avance et communiqué au proviseur. La chose est donc prise très aux sérieux par les élèves et par l’ensemble du corps professoral.

Vous l’aurez donc compris, mon lycée a organisé une de ces assemblee hier matin. L’ordre du jour était : « les banlieues françaises ». En tant que lecteur français du lycée, j’ai été convié par les élèves organisateurs de cette assemblea à venir m’exprimer sur la question. Le sujet est vaste car pour qu’ils comprennent ce qu’il s’est passé récemment en France, il leur faut connaître un minimum d’éléments historiques et culturels tels que la (dé)colonisation, l’immigration en France, ou la vie dans les banlieues, et il faut également leur expliquer un tant soit peu la situation politique de notre pays. Au départ un peu anxieux face à l’immense tâche qui m’était demandée – car bien sûr, tout cela a dû se faire en Italien –, j’ai décidé, par défi et par intérêt, de me lancer dans la problématique et de participer à l’assemblée.

La projection de l’excellent film « La Haine » (qui devient « L’Odio » en italien) étant prévue à la fin des discussions, j’ai choisi, plutôt que de faire un pseudo cours d’histoire de l’immigration en France – ce dont j’aurais été incapable ! – de présenter toutes ces informations en une sorte de longue introduction au film. En effet, je voulais absolument qu’ils ne portent pas de jugement hâtif sur les évènements parisiens, comme j’ai pu en entendre même de la part des professeurs, du style « c’est la faute des arabes, ils faudrait les renvoyer chez eux, etc. ». Attention, n’allez pas croire que les italiens sont racistes. Dans la bouche d’un italien, ce discours n’est absolument pas le même que celui du FN en France.

Il faut savoir que les problèmes liés à l’immigration en Italie sont radicalement différents de ceux qu'on connaît en France. Ici, l’ « étranger » est albanais ou roumain, c’est la première génération à être présent sur le sol italien, et dans la majorité des cas il n’a pas la nationalité italienne. Immigré rime donc à juste titre avec étranger ici, à la différence de la France où il faudrait peut-être se mettre dans la tête que 95% des personnes vivant dans les banlieues sont françaises !

Toujours est-il que dans l’optique de préparer une intervention sérieuse, j’ai passé les quinze derniers jours à acheter presque quotidiennement la presse, à décortiquer chaque article en lien avec mon sujet, à faire des recherches sur Internet, et à passer des heures plongé dans mon dictionnaire franco-italien, car le problème de la langue était finalement ce qui m’inquiétait le plus !

Alors je ne vais pas vous raconter que ma présentation orale s’est faite sans stress, je ne vais pas vous dire non plus que je n’ai pas tremblé pendant les premières minutes de parole, je ne vous dirai pas que je n’ai pas fait tomber mes feuilles par terre en voulant changer de page… mais heureusement les élèves présents (une petite centaine) ont été vraiment très sympas, m’ont bien mis à l’aise, et surtout ils m’ont poliment écouté ! J’ai parlé une trentaine de minutes environ, puis le lecteur permanent de français du lycée a également pris la parole, et enfin nous avons répondu à quelques questions. Mais pour moi, le moment le plus intéressant de cette matinée a été la discussion qui a suivi la diffusion du film. Je crois que je n’ai jamais autant regretté de ne pas mieux parler italien – car argumenter dans une langue étrangère est réellement difficile : il faut penser et traduire en même temps ! – Nous avons parlé de sujets aussi variés que la notion d’identité, de justice, et, justement, de démocratie. A une fille qui se demandait ce qu’elle pouvait faire elle pour changer les choses, j’ai répondu : « Justement ça. En parler ». D’où le titre de ce message. Et puis bien sûr les jeunes se sont mis à discuter de la situation dans leur propre pays, ce qui était passionnant pour moi à écouter.

Cette assemblée a donc été formidable, car non seulement j’ai appris beaucoup de choses sur l’Italie, mais en plus je pense avoir gagné l’estime de mes élèves, car ils ont vu qu’à mon tour je prenais des risques en parlant leur langue. Je suis d'ailleurs prêt à parier que désormais ils auront moins peur de parler en classe.

Quand on peut joindre l'utile à l'agréable…

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